jeudi 26 mars 2009

Retraite spirituelle dans les montagnes

Extrait traduit de l'Institut Azamra, avec la permission de l'auteur.
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Retraite spirituelle dans les montagnes
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Par Rabbi Avraham Greenbaum
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Le concept de retraite spirituelle dans les montagnes a sa place dans le judaïsme, depuis les temps bibliques et jusqu'à nos jours.

Immédiatement avant la libération d'Égypte, Moïse – qui se préparait à tenir son rôle de leader – remis à l'ordre du jour la pratique ancestrale d'Avraham et alla dans la montagne :

“Or, Moïse faisait paître les brebis de Jéthro son beau-père, prêtre de Madian. Il avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu à la Montagne divine, au mont Horeb” (Exode 3:1).

L'Égypte était le paradigme sans précédent de la civilisation dégénérée des villes ; ce pays était le véritable centre de tous les types de vices et d'idolâtrie. Les esclaves juifs furent obligés de construire des villes d'approvisionnement pour Pharaon (Exode 1:11). L'environnement urbain ultra sophistiqué de l'Égypte était tellement encombré d'images idolâtres et éloigné d'une prise de conscience de HaVaYaH, qu'il était même impossible d'y prier ! Lorsque Pharaon supplia Moché de prier pour la fin de la plaie de la grêle, “Moïse lui répondit : 'Au Moment où je quitterai la ville, j'étendrai mes mains vers HaVaYah'” (ibid. 9:29).

Se libérer de Pharaon signifiait quitter le monde brillant des hommes de la ville pour la formidable grandeur naturelle du désert. L'ensemble du peuple juif se rassembla ; les juifs abandonnèrent leurs maisons en Égypte et allèrent camper dans le désert. Les juifs se retrouvaient soudainement au beau milieu de la nature, au pied d'une montagne : l'humble et modeste Mont Sinaï. Ce fut aux côtés de cette montagne – lorsqu'ils furent les témoins collectifs de l'auto révélation de D-ieu au monde – que les enfants d'Israël vécurent l'expérience spirituelle la plus grande de toute l'histoire de l'humanité.

Ce fut au Mont Sinaï qu'ils reçurent les lois de la Tora ; ce sont ces lois qui allaient devenir la lumière qui les dirigerait à construire un nouveau style de vie en Terre d'Israël, sur des fondations entièrement différentes de celles de la civilisation à la mode égyptienne. Quarante années plus tard – lorsqu'ils entrèrent pour la première fois en Terre sainte, sous le commandement de Josué – la nation entière vécut une nouvelle cérémonie solennelle de dédicace de la Tora, à l'ombre de deux montagnes : l'Hébal et le Garizim (Deutéronome 27 ; Josué 8:30-39).

À compter du jour où Josué franchit le Jourdain, les montagnes et les déserts de la Terre d'Israël devinrent les lieux préférés de retraite pour les chercheurs spirituels. La fille de Jephté (qui était supposée être offerte comme sacrifice à cause du vœu irréfléchi de son père, avant qu'il vainque les Ammonites) alla sur les montagnes “pleurer sa virginité” (Juges 11:38). Ce fut dans les montagnes et le désert que le jeune David – qui fuyait le Roi Saül – trouva refuge (Samuel I, 19:26).

Grâce aux dévotions intenses de David dans cet environnement naturel exceptionnel, naquirent un nombre important des prières sublimes du livre des Psaumes. De fait, les Téhilim incluent de nombreux passages de louanges faites à D-ieu à propos des merveilles de la nature.

Les montagnes et les déserts furent le choix de ceux et de celles qui cherchaient à s'échapper de la corruption qui s'était développée à l'époque des derniers rois d'Israël. Cherchant à se sauver de la persécution du Roi idolâtre Ahab et de sa femme Jezebel, le prophète Élijah erra dans le désert, jusqu'au moment où il retourna au Mont Sinaï. À cet endroit, D-ieu lui parla :

“La voix reprit : 'Sors, et tiens-toi sur la montagne pour attendre HaVaYaH !' Et de fait, le HaVaYaH se manifesta. Devant lui un vent intense et violent, entrouvrant les monts et brisant les rochers, mais dans ce vent n'était point le Seigneur. Après le vent, une forte secousse ; HaVaYaH n'y était pas encore. Après la secousse, un feu ; le HaVaYaH n'était point dans le feu. Puis, après le feu, un doux et subtil murmure…” (Rois I, 19:11-12)
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Ce fut sa vision prophétique au Mont Sinaï qui permit à Élijah de vivre le couronnement de sa carrière lorsqu'il défia – avec succès – les prophètes de Ba'al et entraîna le repentir massif des juifs. Ceci se déroula, une fois de plus, au pied d'une montagne : le Mont Carmel (Rois I, 18).

Les montagnes furent également le cadre d'un des actes de repentir les plus connus, raconté dans le Talmud :

On disait de Eliezer ben Durdaya qu'il n'existait pas de prostituées dans le monde à qui il n'avait pas rendu visite. Un jour, il entendu parler d'une certaine prostituée qui habitait dans une ville lointaine et qui demandait une bourse remplie de pièces en or pour le prix de ses services. Il prit une bourse avec lui et traversa sept rivières pour aller la voir. Tandis qu'ils étaient ensemble, elle eut des gaz intestinaux. Elle remarqua : “De la même façon que ces gaz ne retourneront jamais d'où ils viennent, Eliezer ben Durdaya ne sera jamais admis comme pénitent.”

[Cette remarque lui fit une terrible impression.] Il s'en alla dans les montagnes et les collines. Il dit : “Montagnes et collines, demandez la clémence à mon sujet.” Elles répondirent : “Avant que nous demandions la clémence pour toi, nous ferions mieux de demander la clémence pour nous. De fait, il est écrit (Isaïe 54:10) : 'Que les montagnes chancellent, que les collines s'ébranlent.'”
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Il dit : “Le Ciel et la Terre, demandez la clémence à mon sujet.” Ils répondirent : “Avant que nous demandions la clémence pour toi, nous ferions mieux de demander la clémence pour nous. De fait, il est écrit (ibid. 51:6) : 'Car les Cieux s'évanouissent comme la fumée, la Terre s'en va comme un vêtement usé.'”

Il dit : “Le Soleil et la Lune, demandez la clémence à mon sujet.” Ils répondirent : “Avant que nous la demandions pour toi, nous ferions mieux de la demander pour nous. De fait, il est écrit (ibid. 24:23) : 'Et la lune sera couverte de honte, le soleil de confusion.'” Il dit : “Planètes et Étoiles, demandez la clémence à mon sujet.” Ils répondirent : “Avant que nous la demandions pour toi, nous ferions mieux de la demander pour nous. De fait, il est écrit (ibid. 34:4) : 'Toute la milice céleste se dissoudra.'”

Il dit : “Je constate que tout dépend de moi !” Il mit sa tête entre ses genoux et pleura ; il soupira jusqu'à ce que son âme le quitte. Alors, une voix céleste se fit entendre et dit : “Rabbi Eliezer ben Durdaya est invité à la vie du Monde à venir !” ('Avoda Zara 17a)

À l'époque du deuxième Temple de Jérusalem – et de l'occupation romaine subséquente de la Terre d'Israël – les chercheurs spirituels continuèrent à se rendre dans les montagnes et les déserts. Un des exemples connus est celui des Esséniens qui formèrent une communauté spirituelle dans les régions montagneuses du désert, aux alentours de la Yam HaMéla'h (la Mer morte).

Se retirer dans ce style d'environnements – afin d'échapper à la corruption des villes – est mentionné dans les sources classiques juives des époques plus récentes. Selon les mots du Rambam (Maimonide) :

“L'attitude et le comportement des personnes sont influencés d'une façon naturelle par leurs amis, leurs compagnons, ainsi que par les habitudes de comportement qui prévalent dans les villes où ces personnes vivent. Par conséquent, chaque individu doit s'associer avec des Justes et trouver la compagnie des Sages afin d'apprendre de leur comportement. Dans tous les cas, il faut se tenir éloigné des mauvaises personnes afin de ne pas être influencé par elles...”

“Ainsi, si une personne se trouve dans une ville où le mauvais est la norme, elle doit aller vivre dans un endroit où les personnes qui y résident empruntent le chemin de la vertu. Si toutes les villes que cette personne connaît – ou a entendu parler – suivent un chemin qui n'est pas bon, comme cela est le cas à notre époque, ou si cette personne ne peut pas aller vivre dans un endroit différent, à cause de la guerre ou de la maladie, elle doit résider seule, en solitude, tel qu'il est écrit : 'Il s'assiéra solitaire en se résignant silencieusement' (Lamentations 3:28).”

“Si les personnes où elle vit sont tellement mauvaises et immorales – au point qu'elles ne laisseront pas cet individu en paix, à moins qu'il n'adopte leurs mauvaises voies – il devrait partir et vivre dans des grottes, dans les déserts et les terres incultes, plutôt que de suivre le chemin des mauvaises personnes, tel qu'il est écrit : 'Qui me transportera dans le désert, dans un refuge de voyageurs ?' (Jérémie 9:1).” (Michné Tora, Hilkhoth De'oth [Comportement et Attitude personnels] 6:1)

Dans son guide classique de dévotion – Messilath Yécharim : La voie du Juste – Rabbi Moché 'Haïm Luzzatto (le Ram'hal, 1707-46) traite de la façon d'atteindre un état de détachement du monde ordinaire matériel afin de poursuivre une vie de plus grande spiritualité :

“La plus importante de toutes les pratiques est celle d'hitbodédouth, de la solitude. De fait, lorsqu'une personne écarte les occupations relatives à la vie dans ce monde de ses yeux, elle enlève leur attraction de son cœur. Le Roi David parla avec éloge d'hitbodédouth lorsqu'il dit : 'Ah ! me dis-je, que n’ai-je des ailes comme la colombe ? Je m’envolerais pour établir [ailleurs] ma demeure. Oui, je fuirais au loin, je chercherais un asile dans le désert' (Psaumes 55:7-8).”

Nous savons que les prophètes Elijah et Elisha possédaient leurs propres places dans les montagnes afin d'y pratiquer leurs prières solitaires et leur méditation. Les premiers Sages et Saints suivirent le même chemin ; tous considéraient hitbodédouth comme la meilleure façon d'atteindre un état de détachement complet du monde ordinaire, afin que les vanités de leurs contemporains ne leur fassent pas gâcher leurs vies… (Messilath Yécharim, ch. 15)

Rabbi Israël Baal Shem Tov – le fondateur du mouvement 'hassidique (et un contemporain du Ram'hal) – passait de longues périodes d'isolement et de dévotion dans les Carpates. La prière solitaire et la dévotion faisaient partie des pratiques fondamentales dont le Baal Shem Tov s'était fait l'avocat. C'est à propos des mêmes pratiques que son arrière petit fils – Rabbi Na'hman de Breslev – a parlé maintes fois.

Un des sympathisants de Rabbi Na'hman raconte :

“Un jour d'été – tandis qu'il se trouvait dans la ville de Zlatipolia (sans doute l'année 1801) – le Rabbi pria très tôt. Il proposa que nous faisions une marche ensemble. Rapidement, nous nous retrouâmes hors de la ville, en train de marcher dans un pré couvert d'herbe. Le Rabbi dit : 'Si seulement vous pouviez entendre la chanson de cet herbe. Chaque brin d'herbe chante à tue-tête D-ieu, sans motif ultérieur et sans en attendre une quelconque récompense. C'est une chose merveilleuse d'entendre leur chanson et de servir D-ieu parmi eux.'”

“Nous marchâmes un peu plus loin et arrivâmes à une petite montagne, pas très loin de la ville. Je demandai pour quelle raison nous nous rendions dans cet endroit, et le Rabbi me dit le secret de cette montagne. Il me dit de le suivre. La montagne était creuse, comme une grotte. En étant à l'intérieur, personne ne pouvait nous voir de l'extérieur. Dès l'instant où nous rentrâmes, le Rabbi saisit d'un exemplaire de “Cha'aré Tsion” (un ouvrage relatif à la prière) de sa poche et il commença à lire.”

“Il lut l'ouvrage, page après page, en pleurant amèrement tout le temps. Je me tenais à ses côtés, en tenant le manteau du Rabbi. J'étais étonné de le voir pleurer autant. Nous restâmes dans cet endroit pendant très longtemps. Lorsque le Rabbi eut terminé, il me demanda de sortir afin de savoir quelle heure il était. Le jour était presque fini et le soleil avait commencé à se coucher. Le Rabbi avait passé un long après-midi d'été en pleurant pendant qu'il priait, sans marquer de pause.” (La sagesse de Rabbi Na'hman # 163)

Jusqu'à ce jour, les sympathisants de Rabbi Na'hman empruntent les chemins qui les amènent dans les collines et les montagnes d'Israël – et d'ailleurs – afin de se retrouver seuls avec D-ieu.

Ceux qui cherchent la vérité à propos du monde et à propos de D-ieu continueront de se prendre hors de la vanité et du mensonge des grandes villes afin de s'isoler parmi la pureté des environs naturel… jusqu'à ce que le jour vienne où ils pourront s'écrier :

“Qu'ils sont gracieux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles, qui annonce la délivrance, qui dit à Sion : 'Ton D-ieu est roi !'” (Isaïe 52:7)

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